La Bière autrefois

Toutes civilisations confondues la bière est la boisson alcoolisée la plus ancienne. Son origine remonterait vers 8000 ans avant J.C en Palestine.
 
Durant le règne du pharaon Oenas, soit 4400 ans avant J.C, le " vin d'orge " était la boisson nationale. Et à cette même époque les chinois brassaient le " tsiou ", boisson claire et fermentée à base de millet.
 
A Babylone, 4000 ans avant l'ère chrétienne, des tablettes sumériennes mentionnent l'existence d'une " Sikaru ", boisson fermentée. D'autres tablettes nous renseignent sur une vingtaine de " Sikaru ", boissons faites à base d'orge ou d'épeautre dont une brune de consommation courante, une rouge réservée aux hauts dignitaires, une adoucie au miel et réservée aux femmes, une pour les moissons, etc. …. Cette boisson, servie dans des " Maisons de Bière " tenues par les femmes, se buvait à l'aide de pailles ou de roseaux.
 
La bière détenait un important pouvoir économique puisqu'elle servait comme mode de paiement en nature des salaires et prestations : le personnel du domaine recevait trois litres de bière, les femmes du harem cinq litres ainsi que les intendants.
 
En 1730 avant J.C, le roi babylonien Hammourabi élabora son célèbre code qui indiquait la teneur en malt et le prix de la bière qui devait être brassée dans les règles de l'art. Un brasseur de talent était dispensé de service militaire. Par contre il devait fournir des pains de bière aux armées.
 
C'est en Egypte que commença réellement l'épopée de la bière. Une fresque du tombeau de Kenamon, grand chambellan du pharaon Aménophis II (XVe siècle avant J.C), décrit la fabrication des pains de bière :
Les grains d'orge ou d'épeautre maltés, broyés, réduits en farine étaient transformés en pâte appelée " Ouadjit ", pâte avec laquelle le brasseur moulait des pains qu'il cuisait à demi conservant ainsi une certaine humidité à l'intérieur. Ces pains étaient émiettés dans un liquide sucré, lequel fermentait avant d'être filtré et mis en jarres fermées au plâtre. Cette boisson s'appelait le " Zythum ". Pour les hauts dignitaires les égyptiens brassaient le " Zythum " en faisant fermenter du pain d'orge émietté dans du jus de dattes et en y ajoutant du cumin, de la myrte, du gingembre, etc. …
 
D'origine divine cette boisson bénéficiait de la double protection d'Isis, la déesse de l'orge, et d'Osiris, le patron des brasseurs. Elle était tout d'abord une boisson d'offrande religieuse liée aux cérémonies funéraires, comme le révèle le Livre des morts : " Je siège sur mon trône... Je reçois les offrandes de mes autels, je bois des cruches de bière à la nuit tombante ". Pour son dernier voyage, le plus pauvre des Egyptiens emmenait avec lui quatre sortes de bières.
 
Comme en Mésopotamie la bière permettait de rétribuer en partie les fonctionnaires, les soldats et les prêtres. De plus elle avait un rôle économique très important. Des voyageurs grecs ont fait état d'un grand centre brassicole aujourd'hui disparu: Peluse, prés de l'actuelle ville de Port-Saïd, d'où les égyptiens exportaient le " Zythum " jusque vers la péninsule ibérique.
 
Depuis, la bière continue d'être présente dans toutes les civilisations.
 
Pythéas de Marseille (IVe siècle avant J.C) cite la cervoise, boisson la plus courante chez les gaulois.

Caton (IIe siècle avant J.C) la considère même comme la véritable boisson nationale des gaulois.

Ces gaulois qui ont d'ailleurs inventé le tonneau pour pouvoir fabriquer, transporter, conserver et servir la cervoise. C'était une infusion d'orge germée, parfois additionnée d'avoine, de seigle ou de blé. Mais, sans l'apport du houblon, elle n'avait pas le caractère amer et désaltérant de notre bière d'autant qu'elle était bien plus forte en degré d'alcool. Un dieu lui fut consacré, Sucellus, représenté à côté de la déesse de l'hydromel, une cruche dans une main et un maillet dans l'autre.
 
Début Ve siècle de notre ère, Orosius, relatant le siège et la destruction de Numance par l'Empereur romain Scipion Emilien en 133 avant J.C, nous explique la fabrication de la " Ceria " par les espagnols assiégés. La science de cette époque, un siècle avant J.C, se rapproche d'ailleurs étonnamment du brassage moderne car le houblon et la levure sont déjà connus.
 
Chez les romains, la bière était consommée dans tout l'Empire, comme le prouve l'Edit du Maximum qui fixait le prix de deux types de bière pour l'ensemble de l'Empire. Et si l'Edit de Domitien interdit la culture de la vigne en Gaule ce fut tout simplement pour éviter toute concurrence avec les vins latins. Ce qui n'eut aucune incidence sur la bière puisque celle-ci était déjà la boisson préférée des gaulois… depuis environ 5000 ans avant J.C.
 
En 1890 des archéologues ont extrait d'une tourbière du nord de l'Allemagne deux cornes à boire parfaitement conservées et datant du 1er siècle après J.C. L'une avait contenu de l'hydromel et l'autre de la bière.
 
Malgré un rôle prééminent dans le sacré, la bière va connaître des problèmes lors de l'évangélisation, au début de notre ère. La religion chrétienne venue du Sud, progresse vers le Nord de l'Europe, les vignes méditerranéennes gagnent les terres à céréales du Nord. A partir du XIIIe siècle s'affrontèrent la bière païenne et le vin sacré, le sang du Christ. Ce fut la partie visible de la lutte entre deux religions, deux civilisations.
 
Durant tout le Moyen-Age la bière sera la boisson quotidienne par excellence et elle le restera jusqu'à nos jours. Tout au plus peut-on considérer la bière comme la boisson la plus populaire et le vin comme la plus élitiste. Bien que la bière était sur les tables de la cour de Lorraine et que Louis XV et Louis XVI en consommaient.
 
Puis vinrent les brasseries monacales qui marquèrent alors un tournant entre la fabrication domestique des femmes et les premiers brasseurs professionnels. La lecture des papyrus grecs, tel celui de Zozyme de Panapolis, permit aux moines de comprendre et perpétuer l'antique science brassicole égyptienne tout en bénéficiant des brasseries remarquablement agencées de leur époque.
 
En 768 l'abbaye de Saint Denis reçut, de Pépin le Bref, une donation de terres comportant déjà des houblonnières.

En 822 l'abbaye de Corbie en Westphalie, fondée par Louis le Débonnaire, comprenait une malterie et une brasserie.

En 862 Charles le Chauve accordait, par an, 90 boisseaux d'épeautre aux moines de l'abbaye de Saint Denis.

Le plan détaillé de l'abbaye de Saint-Gall, en Suisse,datant du IXe siècle mais découvert seulement au XVIIIe, fait état d'une malterie et de trois brasseries: une pour les pèlerins, une pour les moines et une auberge-brasserie.

Le monastère de Saint Trond en Belgique, l'abbaye de Cluny et l'abbaye de Saint Waast à Arras possédaient déjà au XIe siècle des brasseries réputées.

En Belgique, sur les 12 monastères trappistes (6 de moines et 6 de moniales) 6 produisent encore de la bière : Les abbayes d'Orval et de Saint Rémy de Rochefort, fondées au XIe siècle, détruites à la Révolution, et restaurées respectivement en 1931 et en 1899. L'abbaye de Westmalle fondée en 1794, l'abbaye de Scourmont fondée en 1850,  l'abbaye de Westvleteren fondée en 1861 et l'abbaye d'Achel.
 
Pendant ce temps le houblon se répandit de plus en plus grâce à Jean sans Peur (1371-1419). Le Duc de Bourgogne créa l'ordre du Houblon dont la mission fut de répandre l'utilisation de cette plante dans tout le pays.
 
Autre fait très important, alors que ce termine le Moyen Age, le mot bière apparaît pour la première fois dans un texte officiel et la fabrication de la bière est encadrée par des lois.
 
Les premiers statuts des Cervoisiers de Paris apparaissent en 1254 dans le " Livre des Mestiers ".
 
Les brasseurs se fédèrent en guildes. Celle de Bruges est créée en 1308, celle de Liège en 1357.
 
Le premier règlement des brasseurs d'Arras, dit " Eswart des Goudaliers ", date du 6 septembre 1394.
 
Le  célèbre " Reinheitsgebot ", également appelé " loi de pureté ", fut imposé aux brasseurs bavarois en 1516 (houblon, orge et eau uniquement).
 
A Strasbourg, en 1579, les magistrats avaient fixé la période de brassage de la Saint Michel (29 septembre) à la Saint Georges (23 avril). Et ce n'est que le 5 avril 1783 que l'on autorisa la fabrication de la bière sur toute l'année.
 
La bière était la boisson courante par excellence, consommée à longueur de journée. C'est ainsi qu'aux XVe et XVIe siècle dans les villes du Brabant la consommation moyenne par habitant atteignait 500 litres.
 
Louis XIV institua le monopole de la fabrication de la bière et le vendit au plus offrant. La vente de la bière étant d'un bon rapport, les riches se battirent, les prix montèrent, et la majorité des brasseurs perdirent leurs brasseries au profit des spéculateurs. La qualité de la bière baissant, les consommateurs finirent par se tourner vers les quelques véritables maîtres brasseurs qui subsistaient, lesquels regagnèrent les parts de marché. C'est ainsi que la bière fut sauvée par le goût et le savoir-faire.

Au début du XIXe siècle, les techniques de brassage étaient à peu près similaires à celle des moines du Moyen Age : production en petites quantités, bières de fermentation haute, souvent ambrées voire brunes, brassage pendant l'hiver pour une consommation surtout locale.